« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »
Cette citation de Pascal s’est présentée à moi plusieurs fois au cours des dernières semaines, de manière aussi spontanée qu’aléatoire. Ne croyant pas au hasard, je l’ai notée et laissée vagabonder dans mon esprit jusqu’à ce qu’elle se décide à me livrer le message qui m’était destiné…
J’avais déjà éprouvé la tentation à plusieurs reprises de me mettre en retraite, loin de tout – de tout « divertissement » comme le nomme Pascal – pour sentir ce qui restait de moi une fois pelées les couches superficielles de l’oignon dont notre vie sociale ne manque pas de nous recouvrir, par protection, par éducation, etc. J’avais le clair ressenti que pour «voir ce qui restait de moi » une fois ôtées toutes les couches, il me fallait faire le silence. Cela n’est pas une découverte, c’est le principe même de la méditation. Ce qui avait changé, c’est que cette fois, je ne me contentais pas de le savoir, je le sentais…
Alors j’ai laissé la petite phrase de Pascal faire son chemin jusqu’au jour où relisant Jean d’Ormesson – l’actualité m’y ayant poussée, paix à son âme – je tombe sur ce passage (extrait de son livre Qu’ai-je donc fait ?) :
« J’écrirais volontiers un éloge de la paresse et de l’ennui. La paresse, rien de plus clair, est mère des chefs-d’œuvre. Très loin de l’abrutissement qui naît des grands postes et des hautes fonctions, l’ennui est cet état béni où l’esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d’informe et déjà d’idéal qui n’existe pas encore. L’ennui est marque en creux du talent, le tâtonnement du génie. Dieu s’ennuyait avant de créer le monde. Newton était couché dans l’herbe et bayait aux corneilles quand il a vu tomber de l’arbre sous lequel il s’ennuyait la pomme de la gravitation universelle (…). L’essentiel est de fuir les occupations subalternes et d’éviter de se disperser dans des plaisirs ou des obligations d’emprunt, et puis de se donner tout entier à ce qui sera l’œuvre d’une vie ».
Voilà qui apportait quelques réponses : ne rien faire pour laisser le temps à quelque chose – quel qu’il fût – de naître. Quelque chose que je ne saurais définir, qui est propre à chacun, à son image et qu’il apporte au monde, par son vécu, ses expériences, avec une infinie richesse. Cela prend pour moi la forme de mots, mais ce peut être toute activité, idée, projet. Celle qui vous ressemble et que vous seul pouvez apporter au monde, sous cette forme.
Cela m’a également amenée à me questionner sur la façon dont on occupe les enfants, avec leur emploi du temps souvent très chargé entre les obligations scolaires et les multiples activités qui s’y ajoutent – sans parler des quasi inévitables heures passées sur les écrans. Laissons-leur la chance de s’ennuyer pour qu’ils puissent dès leur jeune âge apprendre à découvrir qui ils sont. En effet, les activités vers lesquelles ils se tournent quand ils s’ennuient et n’ont rien à faire sont souvent très révélatrices de leur moi profond. J’ai eu la chance, enfant, de pas mal côtoyer l’ennui, étant fille unique et sans télévision… Eh bien, j’écrivais des poèmes, je jouais du piano…
Alors oui, je me joins à Pascal et à Jean d’O comme on l’appelait pour défendre l’ennui.
J’irai même jusqu’à dire que savoir s’ennuyer, c’est aussi apprendre à savoir « ne rien faire » ou « laisser faire », ce qui s’avère très souvent salutaire.
L’action n’est pas toujours la panacée et l’on perd parfois beaucoup d’énergie en stratégies (pour ne pas dire manipulations) aussi vaines qu’infructueuses.
Et je ne puis m’empêcher de penser que ce qui doit se faire se fera naturellement, sans forcer. Forte de cette confiance, je continue cependant à agir (sinon soyons clairs, rien ne se passe) mais de manière calme et guidée.
Alors je vous souhaite un ennui productif et saine dose de confiante inaction pour atteindre vos rêves !